supralangage

Vous le savez, mon très cher ami, je crois en un "après" langage. Là où certains cherchent le passage entre plusieurs mondes, je revendique la quête d’un au-delà du mot.

Les Perles de Verre ne sont pas une métaphore. J’en ai la conviction. J’en ai la prescience. Les Perles de Verre désignent un supralangage qui prend forme dans toutes les dimensions, au point où tous les arts et toutes les sciences se rencontrent.

Cette prescience est presque douleur. Imaginez la situation de ces êtres qui préfiguraient l’humain et qui n’avaient pas encore accès à la pensée articulée. Je me sens exactement dans le même état qu’eux.

Et contrairement aux thèses soutenues et répandues par le XIU, je ne confonds pas ces "Perles de Verre" avec le langage numérique, les univers virtuels et le progrès technologique. Les puces ne feront pas avancer la conscience. Elles augmenteront autant l’illusion de suprématie que l’aliénation. Il ne faut pas de béquille à l’esprit. Seule l’évolution, l’affinement. Appuyer sur un bouton, basculer, ne me fait pas évoluer mais accroît ma dépendance en une technologie qui m’échappe.

Pourquoi faudrait-il admettre que le progrès technologique est l’aboutissement de l’Histoire et de la Nature ? Je vois souvent dans l’abus de technologie l’affirmation d’un orgueil - le nôtre - qui cherche à supplanter le Vivant.

Non, je n’échange pas l’arbre de mon patio contre le fruit irisé d’un paradis artificiel. Fût-il d’opium, de poésie ou de codage numérique. Pas plus que je n’échange le développement volontaire de ma conscience dans un effort constant de probité, d’humilité et d’exercice, contre la jouissance passive d’états surpramentaux induits par la technologie numérique, biologique ou génétique.

Car je crois, car je sais, que ma conscience, la vôtre, la nôtre, est capable par elle-même, dans son développement, dans sa programmation, d’un nouveau paradigme : il n’est pas d’état définitif en matière de cognition. Il n’est que des états transitoires et éphémères. Relatifs.

Il n’est que des inscriptions croisées :
- celle de notre héritage humain - chaque trait de mon corps et de mon être s’est développé au coût des générations précédentes : n’ai-je pas cette main car d’autres avant moi en ont appelé l’usage ?
- celle de mes ancêtres - j’ai si souvent le sentiment que ma structure mentale me précède, qu’elle vient des millénaires passés par mes aïeux cimmériens à inventer le Récit et par mes aïeux juifs à étudier la Loi ;
- celle de mon milieu, de mon époque, du collectif historique et social auquel j’appartiens - les mots que j’emploie, les enjeux qui me questionnent, les engagements qui me mettent au défi d’eux.

Je ne suis qu’inscriptions. Toute ma matière n’est qu’inscription.

Quant à mon identité personnelle - ce petit bout qui n’est rien qu’à moi, de moi, par moi, ce quelqu’un que je cherche si désespérément - où réside-t-elle si ce n’est dans cet intervalle, cet espace vide qui me permet parfois de poser un choix, d’orienter - par mon geste - les gestes inscrits dans mon corps présent et à venir, les gestes inscrits dans le flux transcendant historique et dans le flux immanent collectif.

Oui, nous en revenons à ce flux dont, mon très cher ami, nous avons tant discouru lors de nos délicieuses rencontres en Toscane, purs miracles de notre imaginaire, du vôtre surtout, si puissant. Vous qui avez créé ce havre où vous m’accueillez lorsque je transite à mon arrivée en Kiméria. Vous qui reconnaissez ma venue, où que vous soyez. Vous qui êtes capable de voyager à travers les 3 Espaces et à travers le Temps.

Mon très cher ami, pour moi, ce continuum n’est pas un concept. Je le vois. A l’instant même où je vous écris, je le vois. Je ne distingue pas ma main, le stylo, le bois de la table, la tasse de porcelaine anglaise, le mur, le radiateur, la fenêtre, la vitre, les arbres dans le patio, le chat blanc. Je perçois un fluide aux formes diverse, un continuum influencé par ces mots que je vous écris, par ma perception, mes idées, mon index gauche qui vient de gratter mon oreille. Par ma conscience, par mon influx.

Et c’est pourquoi, j’affirme qu’il est un langage qui intervient à un autre niveau de conscience. Un langage entre la poésie, la géométrie et la musique. Un langage que je ne sais pas nommer. Un langage qui - à lui seul - serait le Voyage entre les 3 Espaces. Et ce langage n’est pas celui du Jeu actuel des Perles de Verre, surtout pas celui pratiqué en Castalie.

Il faudrait demander aux Mayas et aux anciens Cimmériens, eux qui ont inventé l’écriture par Nœuds de Tapis.

Mais où se cache le Dernier Gardien des Nœuds ? Quelle malice du destin nous guidera jusqu’à lui ? J’ai encore scruté les textes non recouverts de mon carnet n°7. J’y ai relu une courte version du Récit Cimmérien qui relate comment la Première Gardienne a rencontré le Marchand de Tapis, celui qui lui a appris à lire et à tisser les Nœuds.

Vous l’avez compris, je prépare ma prochaine exploration dans Kiméria. Je poursuis ma quête du Dernier Gardien. Je ne me décourage pas. Je ne crains pas non plus que Sgarideni me devance. Le Dernier Gardien n’a guère besoin de ma protection.

Avant de pénétrer les Terres Inconnues, je passerai par la Toscane. Nous y retrouverons-nous, mon ami ? A moins que vous ne veniez tantôt vous promener à notre époque. Cela fait si longtemps que vous n’avez traversé les rives du Temps.

PS : Et pardonnez-moi. De tous, pourquoi faut-il que je vous sollicite, vous, pour parler de technologie ? Vous qui vivez à une époque où les premières machines manufacturières commencent à peine à être conçues. Vous qui riez de notre besoin immesuré de confort.

J’entends déjà vos moqueries. Oui, oui, oui. Je le confesse. Je suis bien malvenue pour bousculer la technologie, moi qui refuse d’envisager la vie sans ma machine à laver le linge, mon chauffage central, mon eau courante et mon ordinateur…

Au Dottore Pi


Type de document : correspondances

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

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sortants

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chez leonard

Chez Léonard. café - brasserie capt’N nemo ambiance.

Aux toilettes : chasses d’eau-leviers très phalliques ; poignées-manivelles.

Dans la salle :
Tables renaissance ; dessins techniques style Vinci ; lampes de bateau ; objet volant pré-historico-futuriste ; chaises jansénistes et fauteuils de cuir crevassé ; La Joconde à toutes les sauces : en obèse, en princesse turque, en remix/collage (c’est fou c’que j’lui ressemble ! même les poches sous les petits yeux et surtout le menton ; le 1er à l’avoir remarqué c’était mon voisin quand j’avais 6-7 ans) ; tiens ! Des rideaux rouille allure théâtre sauf qu’au théâtre ils sont vermeils ; tables hautes, tables basses ; abat-jour au chapeau très Bogart qui tombe sur le côté ; tv info sports ( pourquoi ? why ?)

Autres détails :
Café ok ; zique Saint Germain (divin) ; tb pour travailler et pour papoter, pour manger je sais pas j’ai pas essayé et de toutes les façons je suis pas une référence puisque je suis végétarienne.


Type de document : streetchroniques

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

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