centre médico-social

"Maman, maman "Oui" "J’ai vu la femme du Président du XIU à la télévision !" "Ah" "Elle se faisait faire une prise de sang en direct" "Ah bon, pourquoi ?" "Pour montrer à tout le monde qu’il faut se faire dépister pour le sida".

Je suis très impressionnée et étonnée. Je commence une de ces diatribes délirantes dont j'ai la mauvaise et incontrôlable manie "C’est génial ! Très courageux ! Très engagé ! Elle dissocie la maladie d’une population à risque, là je suis impressionnée ! Bravo !"

Ma fille m’interrompt avec un grand éclat de rire "Arrête, arrête ! C’est pas vrai : je me moque de toi ! Tu gobes vraiment tout !" "Oh ! c’est dommage ! C’était une super idée. Je suis déçue." "Et au fait, maman ... toi, tu l'as fait récemment le test ?".

Je la regarde, elle a douze ans, de l’humour, de la diplomatie. Je m’assieds, abasourdie et fière. Secouée aussi. Quelle terrible lucidité lui est si tôt imposée par une époque où amour, plaisir et mort sont devenus indissociables. Où le visage de l'autre est autant celui du danger que celui du réconfort. Où les risques s'insinuent entre chaque velléité d'espoir. Où s'unir est devenu un périple physique, psychologique, éthique, social.

La voilà, la réalité : elle se construit dans cette perception-là, dans cet imaginaire-là, dans cette distribution. Moi au moins j'ai grandi dans les poussières résiduelles de la libération sexuelle.

Rue du Figuier, en face de la bibliothèque Forney – centre médico-social - dépistage gratuit et anonyme du virus HIV et de l’hépatite B. Juste devant l'entrée, deux magnifiques figuiers, vieux, majestueux, enracinés dans le bitume.


Type de document : streetchroniques

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

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l'agneau, le loup et la chèvre

L'agneau, le loup et la chèvre

Toutes les chèvres, depuis des générations, récitaient en cœur, dans les basses-cours, le conte de Blanchette et de Monsieur Seguin.

Quand l'une d'entre elles s'égarait, elle savait très exactement ce qui l'attendait. L'herbe, la montagne, les chamois. Et le loup.

Soit elle revenait avant la nuit, forte de l'enseignement de son aïeule. Soit elle s'en remettait à quelque protecteur. Soit elle payait très cher son appel de liberté.

Parfois, naïve, l'une ou l'aure de ces fugueuses niait, oubliait ou refusait de croire que le loup était loup. Que le loup guettait, que le loup croquait. La malheureuse se jetait tout droit dans la gueule de son prédateur, pensant - de bonne foi - qu'ils seraient capables de trouver un terrain d'entente.

Il advint cependant que les loups peu à peu s'éteignirent, se regroupèrent et s'éloignèrent en des contrées si lointaines que les chèvres en vinrent à oublier que les loups existaient.

Circula alors dans le troupeau, la parole de certains pasteurs. On y parlait de temps nouveaux où le loup et l'agneau buvaient côte à côte dans les ruisseaux. Les loups étaient loin, les paroles si proches. Et tous les troupeaux se prirent à rêver. Certaines chèvres partirent même à la recherche du fameux ruisseau. Comme elles ne revinrent jamais, on cru qu'elles l'avaient trouvé. Et qu'elle paissaient, heureuses et libres, dans une terre promise.


Type de document : chants des griots

Auteur fictif : Griot Farceur

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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