objectivement

Objectivement, ils n’ont pas attendu très longtemps avant de se parler. Ils se sont dévisagés sans aucune gêne - inspection en bonne et due forme - et ont lancé l’attaque avec entrain :
"Tu sens mauvais de la bouche et tu ronfles.
Tu ferais mieux de te coiffer et de te laver avant de m’embêter."

Ils se sont tiré la langue et ont levé les sourcils vers le ciel, en secouant la tête et en tordant leur bouche dans un rictus très antipathique. C’était exactement la même mimique et ils ne l’avaient même pas fait exprès. Ca les a beaucoup amusés et ils ont ri au moins pendant trois minutes.
Leur premier fou rire.

Dans la lancée, ils ont joué à qui exécuterait le rire le plus effrayant, le plus stupide, le plus désespérément désespéré. Bien sûr, au moment fatidique des résultats, ils n’arrivaient jamais à se mettre d’accord ! Alors, ils trouvaient un compromis en disant qu’ils avaient gagné tous les deux : "ex-æquo !". L’expression les amusait vraiment beaucoup, ils la répétaient encore et encore. Dès qu’ils faiblissaient, ils s’exclamaient "ex-æquo ! ex-æquo ! "et le concours repartait de plus belle. Ils ont fini par s’arrêter au bout d’1 heure 33 minutes et 40 défis parce qu’ils avaient vraiment trop mal au ventre.
"Pas le ventre ! les ab-do-mi-naux ."
"ab-do-mi-naux ?ab-dos-mi-na-bles !"

Leur deuxième fou rire.

Après le concours, quand le silence s’installa enfin, ils auraient dû repartir chacun de leur côté. Mais non. Ils se levèrent de concert et commencèrent à marcher. Ce n’était pas une décision, c’était un réflexe, un instinct, une espèce de notion du bien et du mal, un abandon à l’imprévu nécessaire. Ils prirent les escaliers, elle pieds nus, lui en sandales violettes. Ils saluèrent les éboueurs sur le quai. Ils traversèrent le pont neuf et ne s’arrêtèrent pas devant la Samaritaine. Ils flânèrent le long des animaleries, dandolinant, se dandinant, trottinant, hoquetant. Ils s’entrechoquèrent accidentellement et "boum ! boum !" tombèrent par terre.
Leur troisième fou rire.

Ils bifurquèrent sur la rue de Rivoli et avancèrent vers le trou des Halles. Les vêtements sales, le visage poussiéreux et les jambes noires, ils avaient l’air de sortir d’un roman de Zola . Curieusement, on ne les remarquait pas. Ils avaient le don de passer inaperçus même quand ils faisaient du bruit. Peut-être ensemble formaient-ils un univers si complet qu’ils disparaissaient aux yeux du monde. Etonnant, invraisemblable, mais existe-t-il une autre solution ? Ils auraient été si jolis à voir pourtant, si pittoresques. Un anachronisme littéraire, une effronterie temporelle, un hasard. Sur un monticule de terre, ils essayèrent d’attraper un chien errant.
Leur quatrième fou rire.


Type de document : chants des griots

Auteur fictif : Griot Farceur

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

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Pierre dit P'tit Gars : fiche personnage

Pierre est un Voyageur de l’enfance.

Depuis l’âge de trois ans, il traverse d’un espace à l’autre en se dédoublant. Son corps reste inerte, en catalepsie, dans le monde réel pendant qu’il évolue et vit en Kiméria . A son retour, il oublie tout de ses voyages. Il lui reste à peine, parfois, l’impression d’un rêve. La plupart de ses voyages ont d’ailleurs lieu la nuit, pendant son sommeil.

Ainsi, quand P’tit Gars rejoint Loula en Kiméria, il ne reste pas avec elle en permanence. Il va et il vient, disparaît et apparaît. Ce qui lui permet de mener une vie presque normale dans le monde réel, de poursuivre ses études, de travailler, de se marier.

Les Voyageurs de l’enfance, comme Pierre, font des voyages de plus en plus brefs au fil du temps et finissent par perdre leur don en devenant adultes.

Pierre a précédé Loula en Kiméria et c’est lui qui l’initie à cet univers, la guide, lui présente ses amis, lui apprend le voyage.

Sur Erel, il leur arrive de se croiser dans la salle d’attente du Dottore Boutboul, psychologue pour enfants. Pierre se fait traiter pour ses crises de catalepsie et Loula pour son autisme. Quand il la croise, il se souvient un court instant d’avoir rêvé d’elle.

Adulte, Pierre habite dans une maison sur les bords de Seine, en dehors de Paris. Il est devenu ingénieur du son et appartient à la Guilde des Techniciens du XIU. Il lui arrive de travailler avec Sgarideni dans l’organisation de colloques et séminaires.

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