trottoir sud

Rue Saint Louis en l'Ile.
Trottoir sud.

Une araignée gambade. Une notable, on ne peut pas s'y tromper. Ni princière ni royale. Bourgeoise. Un peu grasse sur ses pattes - huit. On pourrait croire qu'elle a un plastron et des bretelles. Elle est chez elle et franchement, elle prend autant de place que n'importe quel passant.

Je lui parle : "Bonjour, madame l'araignée."

Les gens se retournent.
Une frisée qui parle avec une araignée près de l'Ile de la Cité. Quelle insanité !

Je relate la scène à un ami voyageur, nom de code : Dottore Pi, en ajoutant : "je l'ai appelée madame, pourtant de toute évidence, c'était un monsieur."

"Certainement pas!" m'a-t-il corrigé. "Telle que vous me l'avez décrite, il s'agit d'une Epeire diadème. Et de cette taille-là, c'est nécessairement une femelle. Les mâles sont vingt fois plus petits. D'ailleurs ils ne finissent pas bien les pauvres."
"Ecrasés ?"
"Non. mangés".

Madame l'épeire diadème venait sans doute de terminer son dîner…


Type de document : streetchroniques

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

tous les matins

Tous les matins, je prends mon petit-déjeuner en compagnie d’un philosophe. Je ne supporte personne d’autre, ni ma fille, ni mes amants, ni ma sœur, ni les poètes, ni les romanciers, ni les chroniqueurs.

Je sais pertinemment que cette petite demi-heure [qui oscille entre 15 et 60 minutes] ne me permettra jamais de rattraper toutes les années de lecture que j’ai manquées en sacrifiant mes études aux pérégrinations humaines et géographiques. Tout juste pourrai-je satisfaire un soupçon de curiosité intellectuelle.

J’ai appris à m’en contenter et, d’une certaine manière, à m’en réjouir : je garde ainsi la candeur heureuse des ignorants qui considèrent comme un privilège d’arriver à lire une page, un chapitre, un ouvrage. Je ne serai jamais une érudite blasée et correcte, je pétillerai toujours de l’ingénu enthousiasme des profanes.

D’autant plus que j’ai la fâcheuse habitude d’oublier ce que j’étudie. Je me l’approprie [j’en fais mon humus, mon terreau, mon magma] mais je suis incapable de le restituer. Est-ce là, la différence entre un artiste et un savant ?

Quoiqu’il existe sans doute beaucoup d’artistes savants et que je n’ai jamais revendiqué le statut d’artiste, tout au plus celui d’artisane, mon dernier "breakfast" philosophe ne fut pas le moindre [last but not least], il a été un des mentors de cette odyssée [Monsieur Virilio].

2001


Type de document : carnets personnels

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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