ENS Louis-Lumière. Intérieur.
A l’entrée, une urne en bois pour récupérer les piles usées. Borne du royaume optico-sonore des appareils photo/audio/vidéo tendance bobo.
Linoléum gris encapsulé de milliers de cercles façon “salle d’attente d’hôpital“, mobilier années 60, hublots de navire, briques de verre.
« Ne jetez plus vos déchets musicaux », exhorte l’affichette artisanale, « optez pour le recycl-o-tron. » Vrais ou faux DJ’s, ces mixeurs de sons ?
Plus loin dans le bâtiment, depuis la passerelle qui relie les deux ponts, une vue kimérienne : une vieille machine à coudre avec pédale et plateau, une table de ping-pong sans axonométrie, des chaises d’école pieds dessous - pieds dessus, une armoire rococo massive et un évier en inox les fesses à l’air. Coloris délavés et brumeux d’un film de Genet.
Type de document : streetchroniques
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : CL
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Il a gardé mon carnet. Un carnet que j'avais oublié. Un carnet tracé à l'encre des mers du sud. Papier brun strié. Taché de tous ces cris que j'ai poussés pour le rejoindre. Pour le garder lui - malgré lui, malgré la distance des continents, malgré le temps - en moi.
La souffrance du manque, de la rancune et du regret a cette terrible vertu de piéger la présence de ceux que j'aime dans mon espace intime. Maladie affective qui me ronge et m'épuise. Masochisme spirituel. Substance opiacée produite à même mon cœur et mon âme.
Et vingt ans après, alors que j'ai enfin réussi à l'oublier, lui, le carnet, les mers du sud. Alors que je me crois guérie, il lui suffit d'ouvrir un canal dans le cyberespace, de scanner trois pages du carnet [cuaderno], de me les envoyer là où je ne pouvais pas les attendre [elles viennent d'un temps où le cyberespace n'existait pas, où je n'avais pas encore appris à voyager entre les 3 Espaces, où j'ignorais tout de mon odyssée], pour que je sombre dans la plus terrible des agonies.
Nosotros, los de entonces, ya no somos los mismos.
Et pourtant.
Type de document : carnets personnels
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Référence : Pablo Neruda, Veinte poemas de amor, poème 20
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun