Tribut du récit variable à Guillevic
Comme les épopées, Guillevic enchaîne les strophes, sans trêve, d’un poème à l’autre, d’un recueil à l’autre. Sa voix jamais ne cesse et semble ajouter perpétuellement de nouvelles images à un récit pris en cours – jamais commencé, jamais terminé – mais en fluidité permanente.
Chez Guillevic, le remix n’est pas une volonté, c’est un mode naturel : même dans ses allusions à la décomposition ou à la violence, il versifie le souffle de vie, ce souffle qui nous précède et nous emporte, lui que nous ne pouvons qu’accompagner dans sa circulation inachevée.
Il n’est pas de repos pour les chantres de l’anodin, les DJ's des mots, les voleurs lyriques : tout, tout le temps est à dire, surtout quand il ne s’agit pas de dire.
Type de document : DJ's classes : récits variables
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Vous me proposez de ralentir le temps, de vous rejoindre à Kiméria, dans votre domaine de Toscane, et d’y vivre une vie entière à vos côtés, en un seul voyage, dans le simple cillement d’un intervalle de réalité.
Mais, cher Dottore, mon ami, que nous resterait-il à vivre ensuite, dans nos prochains séjours ? Faudrait-il atteindre la fin? De nous, de vous, de moi.
Je le sais, les journées s’égrèneraient alors comme les vagues de la Méditerranée, éternellement semblables et différentes, douces et épicées. Goût salé du plaisir tranquille.
Dites-moi où je trouverais - après - la force de revenir au Monde, à mon siècle, à ma vie, à ma fille, à ce combat que je mène pour défendre la liberté d’exister en toute conscience dans les 3 Espaces.
Ne finirais-je pas par céder à la tentation kimérienne et à migrer ? Devenant moi-même un rêve, un récit, brisant le temps cyclique (un jour, un autre, le même) que je crée lors de mes voyages, m’aliénant aux rythmes de cet ailleurs onirique - si volatiles, si curieux, véritables sirènes - et provoquant une longue absence, aussi longue que la vie elle-même. Ce serait une désertion.
Votre temps naturel s’articule en réseau. Vous utilisez des points de jonction pour vous déplacer entre les époques et les espaces. Vous n’êtes pas soumis aux mêmes risques que moi. Vous m’apprendrez, dites-vous. Mais je n’ai jamais entendu, dans aucune rumeur, que quiconque l’eût appris. Le temps réticulaire est une aptitude, pas une initiation.
Au Dottore Pi
Type de document : correspondances
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : 1