l'agneau, le loup et la chèvre

L'agneau, le loup et la chèvre

Toutes les chèvres, depuis des générations, récitaient en cœur, dans les basses-cours, le conte de Blanchette et de Monsieur Seguin.

Quand l'une d'entre elles s'égarait, elle savait très exactement ce qui l'attendait. L'herbe, la montagne, les chamois. Et le loup.

Soit elle revenait avant la nuit, forte de l'enseignement de son aïeule. Soit elle s'en remettait à quelque protecteur. Soit elle payait très cher son appel de liberté.

Parfois, naïve, l'une ou l'aure de ces fugueuses niait, oubliait ou refusait de croire que le loup était loup. Que le loup guettait, que le loup croquait. La malheureuse se jetait tout droit dans la gueule de son prédateur, pensant - de bonne foi - qu'ils seraient capables de trouver un terrain d'entente.

Il advint cependant que les loups peu à peu s'éteignirent, se regroupèrent et s'éloignèrent en des contrées si lointaines que les chèvres en vinrent à oublier que les loups existaient.

Circula alors dans le troupeau, la parole de certains pasteurs. On y parlait de temps nouveaux où le loup et l'agneau buvaient côte à côte dans les ruisseaux. Les loups étaient loin, les paroles si proches. Et tous les troupeaux se prirent à rêver. Certaines chèvres partirent même à la recherche du fameux ruisseau. Comme elles ne revinrent jamais, on cru qu'elles l'avaient trouvé. Et qu'elle paissaient, heureuses et libres, dans une terre promise.


Type de document : chants des griots

Auteur fictif : Griot Farceur

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

.

j'aime les pommes

Très objectivement. Très cérémoniellement.
Très intimement. Très radicalement.
Très obsessionnellement. Très savoureusement.
Très luxurieusement. Très simplement.
Très intégralement. Très minutieusement.
Très juteusement. Très croquamment.
Très dermiquement. Très centralement.
Très personnellement

J’aime les pommes

Névrotiquement
Culinairement
Amicalement
A la mort comme à la vie
A la dérision
A la folie
A l’ivresse
A l’envie
A foison
En catimini
Comme un larcin
Comme un droit
Comme une punition
Comme un réconfort

Assise, debout, au lit
Dans la rue
Au café
Dans les trains, dans les secrets
A table, au goûter

J’aime les pommes

Je les mords
Je les dévore
Je les suce
Je les dépèce
Je les avale
Je m’en rassasie
Je m’en baffre
Je m’en délecte

A en pleurer
A m’en tournebouler

Sur les pommes, j’écrirais la vie
Entière - entière - entière

J’écrirais des prières
Des bréviaires
Des recueils
Des traités
Des poèmes
Des recettes
Des anecdotes
Des études
Des paraboles
Des comptes-rendus

Je les vois, je les goûte, je les sens
Je les exècre

Elles me tiennent.
Les pommes.

Jaunes ou rouges ou mixtes ou terre.
Mais pas vertes. Jamais.


Type de document : vers

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : 1

Textes satellites : aucun

.

Modes lecture
Glossaire
Historique
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.