C'est un désert au fond de soi. Elle brûle vive. Incandescence spontanée. Elle a pris feu. Pour rien. D'avoir trop voulu dire, je crois. Elle est seule.
Pas de nuée. Pas de bancs de fumée. Il ne s'agit pas d'errance. Il n'est aucun peuple. Aucune tribu. Aucun allié. Il ne s'agit pas non plus de solitude, je le sais. Et elle ne veut plus se battre. C'est avéré.
Un désert dont elle est le bûcher.
Brûler sans se consumer.
"Une immolation?" , l'idée même la répugne. Ni sacrifice. Ni épreuve. Ni révélation. Ni culpabilité innocente. Elle ne connaît que le récit. La composition du récit. C'est un mot après l'autre qu'elle a abouti dans ce brasier où les lettres et les syllabes sont feu, pas de feu ni en feu. Feu.
"Il faudrait trouver une rivière" , pense-t-elle dans un crépitement. "Pas une frontière. Un passage, un transit, une circulation."
Et d'une seule et même colonne, elle perce le sable, elle perce la terre, elle pénètre les cavités internes, intrinsèques, intérieures.
- "Styx"
- "Hadès"
- "Jourdain, Achéron"
- "Couloirs de l'enfer"
Murmurent toutes les voix pour la retenir à la surface, le visage tourné vers le ciel.
Mais les voix sont mensongères. Les récits aussi. Il est d'autres rivières dans la terre que celles de l'amnésie.
Elle flotte, navigue, écume. Elle poursuit son cours dans une nef.
Et le rivage qui prend côte est quelque port entre le jour et la nuit.
Pas d'arbres, pas de galets, aucune dune, aucun minerai. Des pavés circulaires, des mosaïques, des liens tissés. Une place. Un marché. Les tentes s'entremêlent, les étoffes, les voiles, les ocres souffrés.
Dans chaque allée, un fil de perles, un jeu d'étoiles, des bribes enlacées.
"Suivre le fil, le démêler ; comme un ruban, le dérouler ; et revenir à sa pelote, son crochet, à l'endroit même où il est né."
Ses pas ne quittent pas la poussière. Ses yeux sur le fil restent fixés. Aux embranchements, elle s'agenouille pour lire - des mains - le nœud tressé.
Comme une aveugle dans l'espace, à son instinct elle doit se fier. Chaque rupture, chaque rugosité, chaque béance, chaque retombée. Il n'est pas question de couleur. Ni d'émotion. Ni de pensée. Une intelligence du doigt. Révolution du labyrinthe.
Et là. Parmi les autres. Elle le trouve. La trouve. Lui ou elle.
Il n'a rien à vendre.
"J'ai ce tapis".
Si dense. Si dense. Qu'aucune nuance ne le reflète.
Si dense. Si dense. Qu'il peut nous traverser.
"Si tu le veux, tu peux le prendre".
Une malice.
Comment attraper ce qui nous traverse ? Nous, trop légers.
Elle s'assied à ses côtés, lui qui est assis sur le tapis. Dessus et pas dedans. Lui qui a un poids. Un vrai. Et elle attend. Elle apprend. Un jour. Un autre. Elle commence par tisser. Un nœud. Un autre. Elle continue par réciter. Puis vient le moment où elle peut lire. Où chaque motif prend ses contrastes. Où, dans sa main, elle est capable de saisir ce que nul ne peut raconter.
La première gardienne.
Peut-être la dernière.
Type de document : DJ's classes : études cimmériennes
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Nous voguâmes ainsi un certain nombre de jours et de nuits.
Nous quittions une mer pour entrer dans une autre, nous laissions un continent pour nous diriger vers un autre, nous nous éloignions d'une île pour aller vers une autre, et durant tout ce temps nous vendions, nous achetions, et parfois même faisions du troc.
Notre voyage était déjà bien avancé lorsque nous arrivâmes un beau jour en vue d'un île verdoyante, gracieuse, dont le sol plat était tout tapissé de gazon : on se serait cru aux jardins du Paradis.
Je fis tomber la grande voile et donnai ordre de plier la voile de misaine et de jeter l'ancre. Nous prîmes nos dispositions pour demeurer un temps sur le rivage de cette île.
Les marchands quittèrent le navire et allèrent se détendre en faisant quelques pas sur la rive ou en s'allongeant dans l'herbe. Certains d'entre eux construisirent un foyer, allumèrent du feu et firent dans un grand chaudron bouillir de l'eau afin d'y laver leurs vêtements.
D'autres voulurent se préparer un repas chaud. D'autres encore, ravis par l'état du gazon, s'assirent en groupe sans autre manière afin de déguster quelques nourritures froides, fort occupés à boire, à se réjouir, à jouer de divers instruments de musique, ou tout simplement à se reposer.
Pour moi, je fus du nombre de ceux qui choisir d'explorer les côtes de l'île.
Pendant que nous nous occupions ainsi à passer le temps, voici brusquement que le sol de l'île se met à bouger et à trembler. Le capitaine, qui se tenait debout sur le bord du navire, se prend à crier de sa voix la plus haute et nous interpelle en ces termes :
- Bonnes gens, ô passagers du navire, cherchez plutôt à sauver votre vie ! Rejoignez le bateau ! Faites vite ! Revenez à bord, laissez là tout ce qui vous occupe. Ne songez qu'à votre délivrance : épargnez à votre existence le risque d'une perte définitive ! Cette île sur laquelle vous vous trouvez n'est pas véritablement une île. C'est un poisson géant qui flotte à la surface des eaux! Il a dû rester longtemps immobile, des alluvions se sont accumulées sur son dos, et ces plantes que vous avez vues y ont poussé. Lorsque vous avez allumé le feu, il a senti la chaleur du foyer et s'est mis à bouger. Le voilà qui s'apprête à plonger avec vous jusqu'au fond de l'eau! Cherchez donc à sauver votre vie! Accourez tous sans attente, remontez vite à bord!
L'île, avec tous ceux qui se trouvaient dessus, ne tarda pas en effet à s'enfoncer, comme aspirée vers le fond de la mer.
Les uns se mirent à nager et purent ainsi atteindre le bateau. D'autres, moins heureux, se noyèrent.
Le navire quitta bientôt les lieux de la catastrophe et gagna le large, assailli par les vagues, brutalisé par les coups de boutoir qu'assenait l'océan houleux.
Type de document : journaux de bord
Auteur fictif : Dottore Pi
Auteur réel : Inconnu
Provenance du texte : Liste de l'éducation nationale
Référence : Sindbad le marin
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun