VOUS
vous êtes réveillé/e à 6h45 avec l’horoscope. Vous n’avez pas entendu votre signe et vous l’avez regretté : vous ne saurez pas ce que vous réserve la journée. Vous n’avez pas eu envie d’écouter les informations et vous avez étendu votre bras pour éteindre la radio. Vous avez essayé d’approcher votre conjoint pour un câlin rapide mais de toute évidence l’envie n’était pas partagée. Vous attendrez ce soir en espérant que cette fois vous serez tous les deux dans l’humeur. A la masse, vous avez mis le café en marche, vous avez filé sous la douche, vous avez enfilé votre peignoir et vous avez aperçu derrière la porte votre choupette chérie, votre petite dernière. Vous l’avez prise dans vos bras et vous l’avez serrée très fort. Elle a glissé sa tête dans le creux de votre cou, comment résister. Elle a attrapé vos cheveux et vous a demandé où était Loula. Vous avez répondu que Loula était encore au lit. Elle vous a dit que non, que Loula n’était pas là. Vous avez rétorqué tranquillement qu’elle était sans doute aux toilettes ou dans la chambre de Tortue. Non, Fanfan insiste et dit qu’elle n’a pas vu Loula dans la maison. Elle commence à pleurer. Vous perdez patience, ces situations vous agacent et vous n’avez pas encore bu votre café. Alors un peu pour rassurer votre fille et un peu pour avoir la paix, vous entreprenez une fouille minutieuse de la maison. Vous appelez Loula comme si vous étiez en train de jouer à cache-cache. Votre conjoint vous demande d’arrêter de crier parce que vous allez ameuter tout le voisinage. Vous commencez à vous inquiéter, vous avez posé Fanfan et vous cherchez de plus en plus frénétiquement. Aucune trace de Loula. Vous sortez dans les escaliers de l’immeuble, dans la cour, dans la rue. Vous essayez de vous calmer. Perdre votre sang froid ne servira à rien. Vous remontez chez vous et vous appelez la
POLICE.
Type de document : chants des griots
Auteur fictif : Griot Atuéatwa
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Il avait un grand chapeau tout mou et très haut, on aurait dit une peluche mais en réalité c’était vraiment un chapeau. Il portait une redingote avec une queue de pie et des moustaches. Il s’appelait Humboldt.
"Bonjour, je m'appelle Humboldt", avait-il dit en frappant trois fois la terre avec sa canne au pommeau d'ivoire sculpté dans la forme d’une tête de lion.
Loula et P’tit Gars n’avaient vu personne depuis des mois. Les trois coups avaient retenti avec force et violence dans leur pieds, leur fémur, leur os coxal, leur colonne dorsale, leur mœlle épinière et leur boîte crânienne.
"C'est pas un nom ça !"
Loula avait failli jeter un regard assassin à P’tit Gars, un regard qui aurait dit : "pour une fois qu'on a d'la visite, tu peux pas être gentil et tenir 7 fois ta langue dans ta bouche ? ! ! !". Mais, comme elle aussi elle avait sursauté, qu’elle était toute secouée et que son cœur battait très fort, elle avait renvoyé sa remarque et ses bonnes manières là d’où elles étaient venues, dans la grotte de la bonne éducation et des grandes résolutions, et elle avait laissé P’tit Gars tranquille.
"Appelez-moi Humby alors, Humby Humboldt, le bogart des bonbecs, du babeurre et des beaux mots".
"En plus i’s’vante !" avait pensé Loula à voix haute.
"Non, i's'vante pas, i'dit n'importe quoi" avait ajouté le bouclé doré.
"J'ai déjà rencontré, dans mes nombreuses et glorieuses pérégrinations vocales, des jeunes gens plus hospitaliers et plus aimables que vous", s’était plaint monsieur Humby Humboldt.
"C'est qu'on vous connaît pas, nous", avait expliqué pleine de bon sens Miss Ludivine Coquine tout en sachant pertinemment qu’elle était de toute première mauvaise foi car jamais auparavant une telle situation ne l’avait incommodée.
"C'est qu'on a pas envie d'être polis et qu'on s'amusait bien tous les deux tout seuls" avait corrigé simplement et sincèrement P’tit Gars, en ne se privant pas, lui, de reprocher à Loula, d’un coup d’œil bleu meurtrier, son mensonge par ménagement d’autrui.
Attrapée dans un de ses travers, Luna Ludi regretta très fort et très piquant ses paroles-pas-vraies. Elle aurait dû dire direct ce qu’elle avait pensé au lieu de l’alambiquer ! Mais elle n’avait pas trop l’habitude de pas faire attention aux sentiments des autres. Elle était encore pleine toute pleine de cette alempathie qu’on lui avait tant vantée, prêchée et emberlificotée.
"C'est bien dommage que vous ne vouliez pas de moi, je pensais vous faire voyager", avait lancé le drôle de crâne d’œuf avec chapeau et canne pour essayer de tenter les enfants.
Le bouclé et la bouclée se questionnèrent du regard : avaient-ils oui ou non envie de pérégriner ? Faisaient-ils confiance à cet intrus prétentieux ? Souhaitaient-ils s’extraire de leur ensolitude choisie et cultivée.
"Ah oui ? Et où ça ?" s’était enquise Loulita Plumita pour avoir toutes les données nécessaires à l’opération d’un choix raisonné.
"Dans des mondes si nombreux et différents qu'aucune langue ne peut tous les englober, dans des traversées aux timbres épicés ou glacés ; carrés, ronds ou pointus ; rudes ou languissants ; sur des vents qui s'écartent et qui se perdent ; dans des palais aux voûtes renommées ; dans des royaumes où il n'y a que l'entendre ; dans des villes où les hommes créent leur vie par leur parole ; dans ..."
"Oh la ! Vous emballez pas si vite !" avait explosé le meckton qui décidément n’avait pas changé d’humeur, "moi, je suis personne ; personne m'emmène nulle part : c'est moi seul qui décide de mon temps et de ma direction ! Et d'abord, comment vous avez fait pour nous trouver et pourquoi vous vous intéressez tant à nous faire voyager ?"
Du haut de ses quatre pommes et demi, l’index inquisiteur et le menton levé, P’tit Gars commençait à lâcher le morceau ... Il n’était pas suspicieux et méchant pour rien, il avait ses raisons ... Il savait des choses qu’il n’avait pas dites à Loula ou qu’elle n’avait pas demandées ...
"Que d’étranges questions!" avait éludé le grand bourgeois emmitouflé, "on vient vous faire des surprises et vous, vous les snobez. Oui, exactement, voilà ! En fait, jeune homme, vous êtes un snob des terrains vagues, des digues et des bas quartiers, un pauvre minet littéraire qui tire son charme de sa jeunesse ignorante et gracile, vous excluez cette délicieuse demoiselle de son destin poétique, vous l'emprisonnez dans une prison d'illusions sémantiques et romantiques, vous êtes – si jeune déjà – un expert en détournement de réel, un voleur d'affection, un oléoduc transterritorial qui pompe l'inspiration et les destins ..."
Mais, outré par le raz-de-marée de Mozagressif, le gavroche des Halles, s’était défendu très sobrement : "chut ! suffit ! pff... !", avait-il sifflé comme un triple rapport balistique, "votre discours m'est intrinsèquement répulsif : je me méfie de ceux qui, comme vous, maîtrisent l'art de la parole et manquent lamentablement de pratique en conversation"
Il se tenait tout droit, tout haut, tout fier, tout beau : "et puis d’abord, comment saviez-vous que pour nous trouver il fallait frapper trois fois par terre avec une tête de lion ? Qui vous l'a dit ? De quel droit nous avez-vous fait revenir dans le monde ? Pourquoi nous vantez-vous le babeurre, les bonbecs et les bons mots ?"
Loula, Luna, Ludivine, Coquine avait ouvert la bouche grand comme quand elle ronflait et les yeux haut comme quand elle voyait une tarte à la fraise et à la crème Chantilly sur une table d’anniversaire. Elle ne savait pas tout ! son Peter Pan lui avait caché des choses : c’était quoi cette histoire de lion ? Et c’était qui cet Humby ?
"Et moi là-dedans ?", avait-elle fini par murmurer ... "Pourquoi je comprends rien ? Que se passe-t-il ?"
"Il est venu te reprendre et te ramener chez tes parents", avait dit P’tit Gars, "le seul voyage qu’il ait à t’offrir, c’est un one way home, lonely and lonesome, handsome".
Type de document : chants des petits griots
Auteur fictif : Anonyme
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun