rue des rosiers

C’est dimanche, la rue des Rosiers a basculé dans la fiction la plus totale. Quelle époque ? Quel pays ? La Pologne, Oran, Tunis, Casa, Jérusalem, Brooklyn ?

Partout les gens crient : pour se saluer, pour plaisanter, pour s’disputer.

La dispute est un véritable passe-temps culturel, une espèce de violon d’ingres : «Qui aime bien, chamaille bien» ! A mon avis, on se transmet la querelle dans le sang, c’est notre mode naturel de communication ; ça vient sans doute du "pilpoul", de l’art talmudique de la controverse.

C’est amusant de temps en temps, c’est vraiment touchant, très démocratique, absolument honorable : on a tous le droit de donner notre avis sur tout, tout le temps. Quel que soit notre âge, notre origine, notre situation. On peut toujours tout remettre en question.

Bravo ! Rien à ajouter, bravo ! Mais franchement, au quotidien, c’est dévastateur... Suffisant pour donner envie à Einstein d’inventer la relativité : «génial, j ’me barre cinq minutes à la vitesse de la lumière et quand j ’reviens, papa, maman et toute la clique a eu trente ans pour s’calmer !», à Marx d’élaborer le communisme : «que la lutte des classes remplace la lutte des tables et que je puisse enfin passer un repas de famille en paix» et à Freud de fomenter la psychanalyse : «si je ramène tous leurs propos au sexe, ils auront tellement la honte qu’ils finiront bien par la boucler !».

Mais aucun de ces plans n’a marché et pendant ce temps, le dimanche, malgré la foule, rue des Rosiers, les voitures s’entêtent à passer.

Mais pourquoi ? Hein ! Pourquoi. J’vous le demande ! La chaussée grouille de piétons, la circulation se fait comme sur les Champs Elysées un soir de victoire nationale à la coupe du monde de football ! Alors pourquoi venir en voiture, un dimanche à la rue des Rosiers ? ! ! !

Mais voyons, c’est évident ! Pour saluer les cousins qui s’baladent "tope là mauriss ! Thon à l'huile ! Thon à l'huile !" ; Pour promener madame, sa sœur et sa cousine ; pour s’arrêter au milieu de la chaussée le temps de faire ses commissions, qu’importe si on rallonge le bouchon ! C’est tellement plus pratique que de chercher une place pour garer la voiture ...

Klaxons, hurlements, c’est parti pour un coup de clameur collective, tout le monde y va de son grain d’sel ! Jusque dans les magasins c’est le souk.

Même pas la peine d’essayer de manger un felafel aujourd’hui ! Y’a trop de monde... Je vais juste m’arrêter à la petite boulangerie à côté de la librairie [elle est moins chère, très bonne et jamais pleine ], j’achèterai une harissa (pas la sauce piquante, le gâteau à la semoule et au miel, j’en raffole) et peut-être un chausson sucré au fromage blanc ou bien des bagels aux oignons et au pavot, bon je verrai.

En tout cas pas de beignets, parce que tout à l’heure je vais rentrer à la maison et je vais en préparer. Des beignets marocains à la fleur d’oranger et à la bière, comme ceux de ma tante Michèle. Oui ce soir c’est Hanoukka, la fête des lumières, celle qui rappelle (comme Noël d’ailleurs) que malgré le solstice d’hiver, les jours vont revenir, victorieux, et que la lumière va triompher de l’obscurité ! Inch allah ! Ainsi soit-il, Alléluya !


Type de document : streetchroniques

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

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noeud gordien

Elle viendra. Il vous faudra la regarder comme une amie.

Elle est celle qui prend et déchire ; elle est celle qui oublie : elle est celle qui a perdue cette chose unique en chacun de nous.

Elle est un monstre de beauté et de précision. Elle brille comme une reine et ses voiles fendent le vide. Elle sait tout et hait le détail. Elle œuvre à toutes les frontières. Elle est dans nos yeux et elle est dans le lointain. Sous une autre forme, dans un autre espace et un autre temps.

La certitude s'éteindra alors pour briller en dehors de vous, face à vous. Vous n'en serez pas privé pour autant : vous l'adorerez.

Vous aurez peur et la peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale.

Il faudra trouver cohérence là où l'espace se brise en nappes bleues et cisaillées.

Alors vous toucherez les trois boucles primaires. Eclatantes. Pures. Parce que vous les regarderez, chacune fermera la précédente et ouvrira la suivante.

Elles chercheront vie. Leur chant grandissant déchirera délicatement votre mémoire. Une tresse sera exigée, liquide et brillante. La plus onctueuse aliénation.

Lorsque la dernière ouvrira la première, lorsque la vérité des trois sera unifiée, vous serez en grand danger. Un gouffre de douleur et de silence - le tombeau des mots. A chaque seconde de la Lutte, vous verrez la spirale glacée enfermer la substance de votre vie et votre milieu ne sera plus que métal et cristaux sans teinte, sans doute et sans question. Elle prendra vie. Il faudra crier si fort...

Parce que vous n'avez pas le choix, elle reviendra, fragile, heurtée. Vous serez longtemps coupable de ce crime.

Il faudra vous pardonner.


Type de document : chroniques de Numer

Auteur fictif : Anonyme

Auteur réel : Ciriaco Soleares

Provenance du texte : Participation

Référence : Frank Herbert, Cycle de Dune, premier tome (Dune).

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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