La nuit du 15 juillet, 3 ans après, Ludivine fit un rêve. Elle volait, planait, flottait, dénivelait remontait. C’était un bon rêve. Comme toutes les nuits, il était là. Les boucles claires, la peau légère, toutes pommettes dehors, le sourire immensément immense, les yeux ciel. Compagnon des vents. Elle croquait son nom au coin de ses lèvres sans pouvoir le prononcer : Peter Pan ou Petit Prince ? Petit Prince ou Peter Pan ? Ou Petit Pierre ? Et elle : elle était qui ? Le renard ou wendy ? Pourquoi ne se demandait-elle pas si elle était la rose ? Elle aurait pu se prendre pour la rose, non ? Non. She was no miss stick-à-lèvres rose, no Barbie, no Ophelia, no Ondine, no Emma. She was who she was – lalala lalala lala. She was no satin rose. No Juliette, no O’hara, no Béatrice, no Mathilda. No Mary no Claudia. Sure she was no rose – lalala lala –
Ils survolaient des champs de blés, tous les deux - elle et lui - près de la ville. Et elle pensait : "même si je dois le perdre, même s'il doit s'en aller, il me restera toujours la couleur des champs de blé ...". C’était bien stupide. C’était la chose la plus stupide qu’elle eût jamais pensée. D’ailleurs, c'était pas elle qui l’avait pensée. C’était le renard. enfin pas vraiment le renard. C’était Saint-Exupéry et au lieu de la dire lui même, il l’avait faite dire au renard."Très stupide ! Mais que c'est stupide ! Qu'est-ce qu'on en a à faire des souvenirs ?". Du coup non, elle a plus du tout envie d’être le renard."Après tout, vaut encore mieux être la rose, même si elle est sous cloche, enquiquineuse et poseuse. Au moins, elle, elle récupère son blondinet tandis que le renard, lui, il ne lui reste plus qu'à bouffer du blé. Bof, d'un autre côté, je sais pas. Je suis pas sûre. Parce que, quand il revient, le môme, il est crevé. L'andouille ! Il s'est fait mordre par un serpent ! De son plein gré! Et on ...
Pas une nuit ne s’était passée, depuis 1976, sans qu’elle n’eût rêvé de son P’tit Gars. Elle avait l’impression qu’il ne l’avait pas quittée. Pourtant, il était bel et bien parti sans même lui dire au revoir. C’est cruel de pas dire au revoir. Très cruel. Trop. Il faut toujours refermer ce qu’on a ouvert. Les portes, les yeux, les querelles, les jeux. En plus, elle était pas venue le chercher, c’était lui qui l’avait attendue sur le quai. A moins que si. A moins que cette nuit-là, en juin 1976, quand elle était sortie pour voir la nuit, quand tout le monde dormait, c’était lui et seulement lui qu’elle cherchait. "Est-ce que je suis amoureuse de lui ?" Elle se pose la question pour la première fois. Elle a 10 ans. Peut-être parce que, dans son rêve, la nuit passée, il lui a donné un baiser. Elle se sent un peu bizarre. Elle a le ventre qui pique. Le Petit Prince avait-il aussi le ventre qui piquait quand il a demandé au serpent de l’aider à partir ? "C’est fou cette histoire. C’est vraiment très triste. Et dire qu’on ...
…voudrait nous faire croire qu'il est pas mort ! A d'autres ! ... Moi, je comprends pas qu’il ait fait tout ce long voyage pour finir par se suicider. Je vois pas l’intérêt". Finalement, tout bien considéré, elle préfère laisser tomber cette comparaison avec le Petit Prince, sa faune et sa flore. Elle s’est perdue dans une flopée de pensées qui ne servent à rien. Tout ce qu’elle veut – elle - c’est revoir son P’tit Gars et rire un bon coup. On lui a dit qu’il existait pas. Elle les croit pas. C’est que des bêtises ! Eux i’savent rien ! I’comprennent rien ! Elle sait - elle - qu’il existe son P’tit Gars, sinon pourquoi est-ce qu’il lui manquerait autant ? Est-ce qu’on souffre d’avoir perdu une hallucination ? Un compagnon imaginaire ? Non ! Donc, forcément, il est réel ! Et les autres, "et ben les autres, c’est qu’des passants, et les passants comme dit Zazie c’est tous des cons. Non c’est pas Zazie qui dit ça, c’est son oncle, le danseur travesti. Non c’est le chauffeur de taxi".
Type de document : chants des griots
Auteur fictif : Griot Farceur
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
"Entre les morceaux de la Table brisée pousse le poème et s'enracine le droit à la parole"
1. Comme je l’ai cherchée cette Table brisée dans mes initiations au Voyage, comme je l’ai languie. Sept années de silence et de contemplation. Hors langage. Hors pensée. Le plus loin possible. De la matière. Des notions d’espace, d’intérieur, d’extérieur. Il fallait s’extraire de toute relation possible au mot connu, à la parole, au signe. S’en remettre uniquement au ressenti. Ne dépendre que de la conscience, à des niveaux de plus en plus subtils. Une sensorialité abstraite qui aurait échappé aux terribles pièges de la séparation entre l’ontologique et le verbe.
Et de cet alors, comment rompre la solitude – douce trop douce? Comment rejoindre l’autre ?
Seul le poème, la métaphore, le trope. Autant de morceaux éparpillés de la Table brisée. Non comme le mal de Pandore mais comme la lumière de la création.
2. Si Moïse n’avait pas tardé, si le peuple n’avait pas douté, si Aaron n’avait pas cédé, si les premières tables n’avaient pas été brisées, alors "le mot eût été la chose" et le poème n’aurait pas existé. Que de vertus recèle l’erreur ...
"La violence du livre s’exerce contre le livre : une lutte sans merci. Ecrire serait peut-être épouser dans le verbe les imprévisibles phases de ce combat où Dieu qui est réserve insoupçonnée de forces agressives est l’indicible enjeu".
(remix Jabès)
Type de document : carnets personnels
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Référence : Edmond Jabès
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun