La météo en avait fait ses choux gras le matin même. Alors que quinze jours auparavant, les Parisiens, pieds enneigés, se gelaient le bout du nez dans la froidure de l'hiver, l'été arrivait cet après-midi !
Les femmes qui suivent le bulletin religieusement (elles n'oublient jamais le parapluie les jours de pluie, le collant noir pour les premiers frimas, et le débardeur sous le soleil ardent) s'étaient adaptées pour la circonstance.
À Auber, à la Gare Saint-Lazare, dès huit heures, des cortèges de secrétaires et de cadres sortaient des bouches d'escalators, prenant d'assaut les grands boulevards. Armées d'un pardessus sur le bras, elles trottinaient sur leurs escarpins aux talons découverts, se trémoussaient sous leurs chemisiers largement échancrés, en faisant voltiger leurs courtes jupes.
A midi, c'était l'apothéose. Toute la gente féminine prenait l'air aux terrasses des cafés du boulevard Haussmann. Dans des poses lascives, comme si la longueur de l'hiver les avait frustrées de s'exhiber, elles jouissaient enfin de l'étal de leurs propres chairs. Leurs décolletés agressifs d'où bondissaient des globes laiteux comprimés par les soutiens-gorges en push-up, les yeux mi-clos dans un visage orienté comme un tournesol à chercher la chaleur du soleil, les cuisses et mollets encore rougis par la crème dépilatoire hâtivement passée quelques heures plus tôt, elles affolaient le chaland mâle.
Excité, freinant le pas, s'immobilisant comme des Pointers à l'arrêt, ils flairaient les chairs nues du regard, évaluant les rondeurs, scrutant la moindre parcelle de nudité. C'en était presque comique de surprendre ces regards concupiscents, ces demi-sourires lubriques. Entre les soupirs bruyants des Belles en exposition et le couinement des mouvements oculaires des ardents spectateurs, on ne s'entendait plus penser..
Mars 2005
Type de document : streetchroniques
Auteur fictif : Pierre
Auteur réel : Christophe Molinier
Provenance du texte : Printemps de la Démocratie
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Il ne vivait pas sur une péniche, il ne vivait pas dans une maison, il ne vivait pas sous les ponts. Il parlait à peine. Il souriait avec les yeux.
Il avait pour passion de regarder les gens comme d’autres veulent allumer les étoiles.
Non, ce n’était pas un enfant perdu, ce n’était pas un ange ni une hallucination.
C’était un p’tit gars comme les autres.
Sauf qu’il ne dormait pas. Jamais.
Sauf qu’il ne mangeait pas. Pourquoi ?
Le voyait-on seulement ? Je ne sais pas.
En tout cas, une nuit de juin, un peu avant l’été, sur le quai de Conti, il s’était arrêté pour regarder une petite fille en pyjama qui ronflait là.
C’était très joli.
Lui qui ne dormait jamais était en train de contempler son premier rêve.
Type de document : chants des griots
Auteur fictif : Griotte
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun