la Spacieuse

Nous parvînmes enfin en cette contrée qui a reçu le nom de presqu'île "Spacieuse", où pousse l'arbre à camphre, dont l'ombre peut servir à cent personnes et plus. Lorsque les habitants de la région veulent recueillir le camphre, ils s'emparent d'une lance bien effilée et en piquent les hautes branches de cet arbre, d'où s'écoule un liquide qui ressemble à du lait mais qui se coagule en descendant le long des branches. Cette gomme n'est donc que la résine de l'arbre : on en remplit de nombreuses jarres dont le contenu distillé donne ensuite l'huile de camphre, qui a elle même l'aspect de la gomme. Une fois que l'arbre a épuisé tout son suc, il se dessèche et on le transforme en bois à brûler.

Dans certains lieux de cette presqu'île se peut encore rencontrer l'animal communément appelé rhinocéros. Il porte au milieu du front une corne unique et recourbée, longue d'une coudée et large d'une main. L'intérieur de cette corne, si on la fend de haut en bas, révèle une figure étrange qui en occupe toute la longueur et dont la couleur est blanche sur fond noir. Elle évoque parfois la silhouette d'un homme, parfois celle d'un animal. On raconte que les habitants de la Chine l'achètent à un bon prix et en font confectionner des ceintures qui se vendent chacune mille pièces d'or. Des Voyageurs qui ont parcouru les montagnes de cette province affirment que le rhinocéros est capable, d'un seul coup de corne, d'embrocher un mulet et de le transporter ainsi en le laissant agoniser à la pointe de son museau. Tout en broutant l'herbe, il supporte cette charge supplémentaire sans avoir l'air le moins du monde incommodé par son poids. Encore lui faudra-t-il parvenir à s'en débarrasser à un moment ou à un autre: il arrive que par les grandes chaleurs, la graisse de la victime embrochée fond et aveugle les yeux de l'embrocheur, le conduisant à sa perte ; car il se déplace souvent en montagne et le moindre précipice lui devient ainsi fatal. D'autres fois, n'arrivant pas à se défaire de l'animal encorné et désormais incapable de suivre sa route, il ne lui reste plus qu'à se coucher sur le sol et à attendre que l'oiseau Rokh avise la charogne qui l'encombre, et s'en empare pour aller au loin en nourrir ses petits.

Il m'a encore été donné de voir, toujours dans cette même presqu'île, des buffles dépourvus d'oreilles, et biens d'autres choses encore ; car les montagnes, les vallées et les promontoires de cette région regorgent de bizarreries et de merveilles que l'on serait bien en peine de trouver dans les contrées où nous habitons.


Type de document : journaux de bord

Auteur fictif : Humby Humboldt

Auteur réel : Inconnu

Provenance du texte : Liste de l'éducation nationale

Référence : Sindbad le marin

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

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le XIU n'impose pas

Le XIU n'impose pas une dictature ni une théocratie ni un féodalisme. Il ne prône pas le mérite ni même le hasard. Il ne s'appuie pas sur la résignation et ne se justifie pas au nom de la raison. Il allègue simplement la défense des droits individuels et des intérêts privés. Et il les pousse jusqu'au bout. Pour le Bien Commun.

La liberté d'expression est totale : la censure n'existe pas. Officiellement.

Mais, comment s'exprimer quand toutes les idées et expressions sont soumises aux droits d'auteurs ? Quand, pour pouvoir aligner quelques métaphores courantes, il faut l'autorisation de l'organisme chargé de la défense du Patrimoine Sémantique? Quand toute publication doit s'acquitter de droits forfaitaires prohibitifs, accessibles à quelques grands consortium multinationaux toujours affiliés, par une ramification ou une autre, au XIU.

Quant à l'artisanat de l'information et de la culture - les indépendants et petites entreprises - ils sont eux aussi obligés de se regrouper dans des corporations pour arriver à payer les droits d'auteurs. Ces corporations n'ayant d'autre choix que de trouver des accords, elles aussi, avec le XIU. Avec tout ce que cela sous-entend d'allégeance et de compromission.

Aujourd'hui, ce mécanisme nous parait normal. Nous l'avons intégré. Nous sommes heureux d'avoir le droit d'utiliser le langage pour parler et penser sans devoir payer un impôt spécifique. Nous remercions les syndicats d'enseignants d'avoir su défendre - aux premières années du XIU - la gratuité des droits d'auteurs pour les écoles.

L'idée même d'une zone franche lexicale dans l'espace publique nous paraît utopique. Il nous est difficile d'imaginer ce temps où des ordinateurs ne parcouraient pas tous les discours et écrits, images et musiques, pour relever le nombre de séquences employées soumises au copyright.

Aujourd'hui, une étape supplémentaire doit être entreprise par les aspirants au voyage interspatial : l'affranchissement de la soumission au copyright.

Vous devez apprendre à utiliser les mots, les notes, les sons, les formes sans peur d'être dans l'illégalité et l'illégitimité. Vous devez retrouver votre liberté. C'est une question de pensée et de psyché. Un déconditionnement intense.

Ensuite viendra le voyage. Alors. Seulement.


Type de document : DJ's classes : le XIU

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

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