Il Dottore Pi, qui est ma référence absolue en matière de sciences naturelles, m'a raconté les Epeires diadèmes : l'Epeire diadème pond, elle vide son ventre, elle fait son cocon. Elle meurt.
Le cocon est superbe. Il a une forme de montgolfière inversée et ressemble un peu - mais en plus chamarré - aux alvéoles que font les guêpes. Haubané, il est constitué de soies de natures différentes. L'Epeire diadème le tapisse d'une toile rousse très frisotée, crépue. Une bourre. Puis elle referme le tout avec un opercule.
Le dispositif est trois fois plus gros qu'elle. Elle l'abandonne, épuisée.
Et, au printemps, les œufs éclosent : à la faveur d'une variation hygrométrique, la capsule éclate et toute la bourre explose en propulsant les araignées vers l'extérieur. Elles sont alors très vulnérables. C'est pourquoi la nature a inventé, pour les protéger, un parachute ascensionnel : chaque araignée sécrète un fil de soie, ce fil de soie s'allonge et capte le moindre souffle d'air qui monte vers le haut, depuis le sol chaud. Il flotte verticalement et entraîne l'araignée qui s'envole.
On les appelle les fils de la vierge.
Il me semble me souvenir d’une légende cimmérienne où un Gardien des Nœuds, quand il décodait les tapis et clamait le Récit, s’envolait vers l’origine, la Cimmérie, sur des fils de lumières qui s’élevaient à l’infini. Le Gardien Epeire Diadème.
Type de document : DJ's classes : études cimmériennes
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Mes grands-parents, Esther et Abraham, ont quitté la Cimmérie en 1921, avec leurs trois enfants, pour rejoindre la Palestine qui était alors sous mandat britannique. Ils étaient juifs, sionistes, socialistes et cimmériens. Vous imaginez le dilemme. S’identifier à la fois aux Cimmériens et aux Hébreux. Avoir deux terres promises : le Mont Sion et le Mont Cimmer…
En chemin, ils ont décidé de s'arrêter en France, cédant aux pressions de leurs parents rétifs à leur projet de s’installer dans une région à feu et à sang.
Ils ont alors fait ce que tous leurs ancêtres avaient fait avant eux (je viens d'une lignée d'imprimeurs, rappelez-vous), ils ont ouvert une imprimerie à Strasbourg.
Puis éclata la seconde guerre mondiale. Toute la famille quitta la ville avant l'évacuation, pressentant le danger. Les juifs cimmériens captent le frisson du pogrom bien avant qu’il ne se réveille.
En 1941, Marjem, la plus jeune des trois enfants réussit à rejoindre le Maroc. Elle s'était mariée avec un Capitaine épileptique. Elle avait 20 ans.
En juin 1943, mon oncle, Samuel (que personne n'a jamais appelé Uncle Sam) fut arrêté. Il était juif, cimmérien, communiste et homosexuel. Il fut raflé dans une chambre de bonne, pendant des ébats amoureux, dénoncé par des voisins homophobes.
Le même jour, par un terrible jeu du hasard, mon père, Aaron, et mon grand-père Abraham furent également arrêtés. Chacun dans des circonstances différentes.
Samuel et Aaron se retrouvèrent dans un camp de transit et réussirent à s’enfuir. Ils ont rejoint le maquis. Ils avaient de faux papiers. Le nom de mon père était George Jaquard. Celui de mon oncle, Pierre Breton.
Mon grand-père Abraham est mort dans un camp de concentration en Cimbrie. Terrible ironie pour cet homme qui avait tout fait pour délier son destin de ce pays.
Ma grand-mère, Esther, est restée cachée dans un puits jusqu’à la fin de la guerre. Elle y a perdu la raison.
Au Dottore Pi
Type de document : correspondances
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun