se faire à cette vie

Loula eut envie de revenir chez ses parents ; mais en se rappelant le lit aux barreaux de fer, la lanière qu'on nouait la nuit à sa cheville pour éviter qu'elle ne s'enfuie, le portail toujours fermé, si haut, si lourd, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie-là et qu'il valait mieux rester ici. Dans cette Cour des Miracles qui rassemblait des peaux de chamois et des étoffes d'Orient, des jambes de bois et des carrosses d'argent, des longues vues et des attachés-cases, des échasses et des pantoufles de vair, des poudres d'aurore et des reliques amères. Dans ce Paris où il ne venait plus que très rarement. Dans la ville de son oubli. Lui, le sien. Son oubli d'elle, son refus d'eux. Son abandon, sa désertion.


Type de document : chants des griots

Auteur fictif : Griotte

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Référence : La chèvre de Monsieur Seguin, Alphonse Daudet

Commentaires : 1

Textes satellites : aucun

sortants

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histoire de famille

Mes grands-parents, Esther et Abraham, ont quitté la Cimmérie en 1921, avec leurs trois enfants, pour rejoindre la Palestine qui était alors sous mandat britannique. Ils étaient juifs, sionistes, socialistes et cimmériens. Vous imaginez le dilemme. S’identifier à la fois aux Cimmériens et aux Hébreux. Avoir deux terres promises : le Mont Sion et le Mont Cimmer…

En chemin, ils ont décidé de s'arrêter en France, cédant aux pressions de leurs parents rétifs à leur projet de s’installer dans une région à feu et à sang.

Ils ont alors fait ce que tous leurs ancêtres avaient fait avant eux (je viens d'une lignée d'imprimeurs, rappelez-vous), ils ont ouvert une imprimerie à Strasbourg.

Puis éclata la seconde guerre mondiale. Toute la famille quitta la ville avant l'évacuation, pressentant le danger. Les juifs cimmériens captent le frisson du pogrom bien avant qu’il ne se réveille.

En 1941, Marjem, la plus jeune des trois enfants réussit à rejoindre le Maroc. Elle s'était mariée avec un Capitaine épileptique. Elle avait 20 ans.

En juin 1943, mon oncle, Samuel (que personne n'a jamais appelé Uncle Sam) fut arrêté. Il était juif, cimmérien, communiste et homosexuel. Il fut raflé dans une chambre de bonne, pendant des ébats amoureux, dénoncé par des voisins homophobes.

Le même jour, par un terrible jeu du hasard, mon père, Aaron, et mon grand-père Abraham furent également arrêtés. Chacun dans des circonstances différentes.

Samuel et Aaron se retrouvèrent dans un camp de transit et réussirent à s’enfuir. Ils ont rejoint le maquis. Ils avaient de faux papiers. Le nom de mon père était George Jaquard. Celui de mon oncle, Pierre Breton.

Mon grand-père Abraham est mort dans un camp de concentration en Cimbrie. Terrible ironie pour cet homme qui avait tout fait pour délier son destin de ce pays.

Ma grand-mère, Esther, est restée cachée dans un puits jusqu’à la fin de la guerre. Elle y a perdu la raison.

Au Dottore Pi


Type de document : correspondances

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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