25 symboles

La Bibliothécaire de Babel a transgressé le deuxième axiome de la bibliothèque...
Elle a rajouté aux 25 symboles orthographiques, le point d'interrogation et le point d'exclamation.
La bibliothécaire n'est plus une bibliothécaire. Elle innove, elle intervient, elle crée.
Elle me l'a révélé en silence, me tendant quelques livres cachés dans une seconde rangée au fond des étagères, rangée que personne ne consulte à la bibliothèque de Babel.
Tant de livres, tant.
Qui irait regarder derrière ?
Je ne pouvais même pas lui poser la question car la scène s'est déroulée dans le silence qu'impose la transgression.
Mais : comment a-t-elle eu l'idée, le besoin, d'inventer le point d'interrogation et le point d'exclamation ?
Peut-être est-elle une voyageuse.
Peut-être est-elle allée sur Erel, dans Numer. Peut-être a-t-elle arpenté la terre des rêves …
Car seuls les voyageurs peuvent entrer et sortir de cette contrée construite comme une tour qui n'a ni porte ni fenêtre.
On sait qu'il existe quelques voyageurs kimériens…
Il faudra bien que je lui pose la question.
Elle a inventé le point d'exclamation, mais connaît-elle le mot question ?


Type de document : journaux de bord

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Référence : La Bibliothèque de Babel, Borges

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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les deux leurres

Les deux leurres du bréviaire

1. Comme un bottin, le bréviaire recense. Genre sec, apparemment froid et détaché, il entasse avec rigueur des informations anodines ou essentielles, des mots, des idées, des noms propres et communs, des dates, des sottises, tout.

Or, paradoxalement, l’effet produit par cette effusion de vocables exotiques, difficiles, inaccessibles, étranges, étrangers ou simplement exhaustifs, s’apparente à l’abandon langoureux et primitif éprouvé dans l’écoute de la musique ou de la poésie. La rationalité dépecée et systématique du bréviaire engendre un sentiment nourricier, un sommeil hypnotique et ronronnant, un entendement non intellectuel, une appréhension et une cognition sensorielles, hors du rationnel, et qui sont étrangères à la pensée articulée.

Le bréviaire, c’est le détournement baroque du langage classique, c’est le débordement réticulaire de l’écriture linéaire, c’est le champ du signe de la littérature ou plutôt son chant des baleines.

La différence entre le chant du cygne et le chant des baleines étant la qualité qui distingue les sirènes des saint-bernards, les premières ayant pour fonction de perdre le navigateur qui connaît sa route et les seconds ayant pour vocation de sauver le voyageur qui a perdu la sienne.

2. Comme un guide pratique, un dictionnaire ou un volume de référence, le bréviaire dresse un inventaire d’informations. Instructif et documentaire, il aborde un "objet" donné sous des angles divers et complémentaires.

Or, paradoxalement, les données rapportées au lieu de livrer cet objet le rendent de plus en plus mystérieux : d’anodin il devient insaisissable et secret, presque sacré. Finalement, le seul objet que nous semblons rencontrer et découvrir, le seul "objet" qui nous soit dévoilé est "l’auteur" : le bréviaire trahit ses limites et ses organisations, ses liens et ses associations, ses connaissances et ses lacunes, ses envies et ses peurs, ses accointances et ses sursauts, ses désirs et ses obsessions.

L’objet apparent du bréviaire n’est qu’un pré-texte à l’exploration et à l’exposition du système cohérent de signifiants à l’intérieur duquel se positionne son compilateur. Ainsi, la fonction véritable du bréviaire ne s’assimile en aucun cas à l’information mais au récit : celui de l’organisation cosmogonique du rédacteur dans ses choix d’inscription au sein du réel, de l’imaginaire et du langage ; celui de la rencontre fondamentale de l’altérité dans l’écart révélateur des dire et des taire.


Type de document : DJ's classes : récits variables

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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