Vous me proposez de ralentir le temps, de vous rejoindre à Kiméria, dans votre domaine de Toscane, et d’y vivre une vie entière à vos côtés, en un seul voyage, dans le simple cillement d’un intervalle de réalité.
Mais, cher Dottore, mon ami, que nous resterait-il à vivre ensuite, dans nos prochains séjours ? Faudrait-il atteindre la fin? De nous, de vous, de moi.
Je le sais, les journées s’égrèneraient alors comme les vagues de la Méditerranée, éternellement semblables et différentes, douces et épicées. Goût salé du plaisir tranquille.
Dites-moi où je trouverais - après - la force de revenir au Monde, à mon siècle, à ma vie, à ma fille, à ce combat que je mène pour défendre la liberté d’exister en toute conscience dans les 3 Espaces.
Ne finirais-je pas par céder à la tentation kimérienne et à migrer ? Devenant moi-même un rêve, un récit, brisant le temps cyclique (un jour, un autre, le même) que je crée lors de mes voyages, m’aliénant aux rythmes de cet ailleurs onirique - si volatiles, si curieux, véritables sirènes - et provoquant une longue absence, aussi longue que la vie elle-même. Ce serait une désertion.
Votre temps naturel s’articule en réseau. Vous utilisez des points de jonction pour vous déplacer entre les époques et les espaces. Vous n’êtes pas soumis aux mêmes risques que moi. Vous m’apprendrez, dites-vous. Mais je n’ai jamais entendu, dans aucune rumeur, que quiconque l’eût appris. Le temps réticulaire est une aptitude, pas une initiation.
Au Dottore Pi
Type de document : correspondances
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : 1
Pas âme qui vive à cette heure grise où le fleuve se tamise d'une lumière rasante et où souffle la brise nocturne qui lèvera le mascaret.
Ombre parmi les ombres, il s'évanouit le long des quais désertés et se pénètre des puissants remugles remontés des profondeurs où se mêlent, indéfinissable jus, l'odeur de la vase stagnante et le parfum emmiellant des acacias .
Impossible de se situer dans ce paysage de lignes brouillées aux confins de la ville.
Il s'ébroue avec vigueur, comme si ce geste pouvait lui restituer sa part de réalité .
Il scrute au loin le front de fleuve qui se dresse de l'autre côté de la rive. A perte de vue, un mur d'immeubles majestueux, pierre blanche et encorbellements en ferronnerie.
D'où il est il ne peut pas voir le détail des ciselures et des sculptures mais il a brusquement la vision fulgurante et définitive d'un décor étrangement familier.
Il le reconnaît et soupire : enfin !
Type de document : chants du chœur
Auteur fictif : Le Troubadour
Auteur réel : ERL
Provenance du texte : Participation
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun