Châtelet. Ligne 14. Météor. Il portait une veste de marin bleu marine avec des ancres rouges sur le revers du col. Il était beau. Il ressemblait à ce que Loula m'avait dit de P'tit Gars. Il me faisait penser à ces aventuriers du grand large qui parcourent les films des années 50. Orson Welles, oui voilà, Orson Welles dans "The lady from Shangai", exactement.
Pourquoi m'a-t-il plus effrayée que séduite en ce bref instant où nous nous sommes croisés, quand j'entrais dans la rame et qu'il attendait sur le quai ?
Peut-être à cause de Loula et de P'tit Gars justement. Peut-être à cause du quai. Je me méfie des quais. Des hommes sur les quais. Des "qui sait" et des "plus jamais". Des coups de foudre et des coups de trop. Des regrets truffés de promesses.
De toutes les façons, il ne m'a ni souri ni regardé. Et moi, je n'ai vu que ses ancres rouges sur la laine bleu foncé.
Type de document : carnets personnels
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : 1
Loula
Ils n'avaient qu'une seule question. Tous. La même. Toujours. Les recruteurs, le peuple.
"Où est la gardienne ? Où est-elle ? "
Ma famille, ma mère, mon père, les psychologues.
"Où vas-tu Loula ? Pourquoi, pour qui ?"
Pierre parfois, "reste," me disait-il, "reviens avec moi".
Je les entendais dans mon exil, dans mes arrêts, dans mon absence.
Capitaine
Je sais Loula.
Loula
Je ne pouvais pas.
Capitaine
C'est comme ça.
Loula
Je n'étais d'aucun temps.
Capitaine
Voyageuse absolue.
Loula
Seulement l'ici.
Capitaine
Et tu les as entendus construire ton histoire
Loula
Avant même que de la vivre.
Capitaine
Et tu en connais la fin.
Loula
Il n'y a pas de fin, Capitaine. Il n'y a qu'un maintenant. Absolu. Où je suis dans tous les points de ma souffrance et de ma délivrance concomitamment.
Type de document : minutes des mémoires absolues
Auteur fictif : Les Greffiers
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun