domestiquer le vent

Qui peut se prévaloir d’avoir jamais apprivoisé le vent ?

Les hélices taillées dans les feuilles de platane de notre enfance, les ailes des moulins, la voilure de nos vaisseaux peuvent tout au plus prétendre l’avoir retenu un seul instant fugace. Et gare à celles qui se risqueraient à l’emprisonner trop longtemps !

D’une feinte colère et d’un coup de reins sans appel, il aura tôt fait de culbuter qui s’oppose à la détermination brouillonne de son bélier têtu.

Ne vous hasardez jamais à lui résister et gardez-vous de ses emportements.
Mais si, comme je le devine, son impétuosité vous attire et agace vos sens, usez de stratagèmes.

A Lamporecchio, le corps de bâtiment principal est orienté plein sud. Mais le surplomb rocheux dont on a voulu se tenir au plus près impose au jardin un arc de cercle qui le force sur sa gauche de telle sorte qu’il regarde davantage vers le levant, droit sur le clocher de Vinci.

Je me plais à l’entretenir dans un état de liberté qui valorise chacun de ces spécimens rapportés avec mille précautions des antipodes ou plus simplement des collines voisines. Mais j’aime aussi laisser des plantes commensales organiser leur vie, harmoniser leurs rapports, les inverser parfois... De cela, je vous parlerai prochainement.

Aujourd'hui, c’est du vent que je vous entretiendrai, contraint par la pluie qui bat mes volets à la cadence effrénée du heurtoir de ma porte, de déserter mes allées.

Mes girouettes les plus ingénieuses n’ont jamais conservé d’autre trace de son passage que la marque luisante d’une usure inégale de leur hampe suivant sa direction dominante.

Au fil du temps, cependant, j’y suis parvenu.

J’ai disposé trois larges vasques de terre cuite d'Imprunetta remplies de terreau généreusement sarclé. La première, à l’extrémité du mur au couchant, la seconde, contre le mur qui regarde au levant, la troisième, abritée derrière la margelle du puits.

Toute l’année exposées aux rafales, je recueille au printemps les fruits de leurs amours tumultueuses avec les vents.

Et là où d’ordinaire on ne voit que caprices, bousculades confuses, on mesure combien, souvent, la constance a présidé à ces rencontres.

Dans la première, je reconnais l’empreinte du vent de la mer qui a charrié avec lui les joncs et les tamaris du Padule di Fucecchio. Il me raconte l’âpreté de la Maremma. La deuxième, bien qu’au levant, ne porte que la signature du vent du nord qui dévale les pentes du Monte Albano et décoiffe San Baronto. Les cistes cotonneux y dominent, austères sous leur bure grise et leurs pétales froissés.

De toutes, seule la troisième ne peut dissimuler une existence heurtée : à l’abri derrière la margelle du grand puits mais au soleil du lever jusqu’au coucher, nous la croyions à la seule portée des euphorbes et des joubarbes qui s’insinuent entre les pierres qui l’abritent. Que nenni ! C’est en pleine lumière mais à l’insu de tous qu’elle a accueilli les semences des vents de passage venus tourbillonner rageusement autour du puits. Ivre de parfums exotiques, de chuintements et de cris elle a cédé à chacun.

Oublieux, ils ont laissé derrière eux une cacophonie indéchiffrable en guise d’histoire. Que des années de patientes germinations et de soins attentifs finiront cependant par métamorphoser en un jardin enfin apaisé.

C’est ainsi, voyez-vous, que j’ai débusqué, traqué, dispersé les vents tourmenteurs.

Je vous souhaite une nuit réparatrice.

La penso teneramente.

Au Capitaine L


Type de document : correspondances

Auteur fictif : Dottore Pi

Auteur réel : anonyme

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

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La Cour des Miracles

La Cour des Miracles est le cœur de Kiméria. On dit que tous les Voyageurs passent tôt ou tard par la Cour des Miracles. C’est pourquoi elle regorge d’espions, de mercenaires, de chasseurs de prime, qui guettent les Voyageurs recherchés par le XIU ou par les Corsaires.

Mais la Cour est aussi l’endroit le plus fabuleux pour se cacher car elle fourmille de passages, de niches, de souterrains et de portes secrètes.

Elle abrite d’ailleurs la Fontaine de tous les Rêves dont l’eau transforme l’apparence du Voyageur qui la boit. Mais bien peu de Voyageurs, même traqués, prennent le risque de goûter à son nectar qui révèle le véritable visage de l’âme. Les Voyageurs pourchassés préfèrent généralement courir le risque d’un Potlatch que d’affronter leur propre vérité.

La Cour des Miracles est le domaine des mendiants, des voleurs et des poètes. Elle est dirigé par un conseil dont le président est appelé le roi des fous ou le Cœsre Ses citoyens portent tous des noms argotiques : archi-suppôt de l’argot, cagoux, coquillards, calots, francs mitons, etc.

Les Voyageurs peuvent la traverser mais ne peuvent pas y dormir. Pour y dormir, il faut bénéficier d’un statut de résident temporaire sous une catégorie autorisée : barde, scribe, voleur, saltimbanque, peintre, escroc, dissident etc.

Un détail : à la Cour des Miracles, il n’y a pas de plus grande offense que de traiter quelqu’un d’Arni, insulte formée à partir du nom de Nicolas Gabriel de La Reynie, premier policier de l’histoire de France qui a commencé son mandat en détruisant la vraie Cour des Miracles du Paris d’Erel en 1667, provoquant une fuite massive vers Kiméria de tous les éclopés, fous et petits malfrats.

La reynie / Larni / Arni

Utilisé dans les expressions "espèce d’Arni" ou "arni de" ou "c’t’arni de"

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