je serai conteuse

J’avais tant de fois revendiqué mon statut.

"Conteuse, je serai conteuse". A deux ans déjà je m’asseyais à terre et amassais des cailloux - mon assemblée - pour les convaincre de m’écouter. "Tout ce qui m’entoure a des oreilles".

A quatre ans je m’affirmai.
"Conteuse, je serai conteuse."
"Tu veux faire du cinéma ?"

Que nenni, je tournai la tête.

"Du théâtre alors ?"
"Pfff ! m’enfermer ? jamais !"
"Tu veux écrire ?"
"Non je ne sais pas écrire."
"Mais tu apprendras."
"Non"
"Mais si, quand tu iras à l’école, tu apprendras à écrire et tu pourras raconter plein de belles histoires dans des grands cahiers avec des grands carreaux."
"Non je n’écrirai pas moi. Je n’écrirai pas dans des grands cahiers avec des grands carreaux."
"Dans des petits cahiers si tu préfères, mon trésor."

A cinq ans je m’enhardissais
"Conteuse je serai conteuse, je veux parler des ponts et des boutiques, des fleuves et des bacs, des routes et des rues. Je veux dire tous les mots qui ont été pensés, je veux les mettre en fleurs et les distribuer en bouquets."

"Et tu les diras où tes histoires ?", demandait ma sœur au nom de Tulipe. Fanfan.

"Au grand air, sous la pluie, dans les parcs et les cafés. Au comptoir à l’heure du kir ou du noir."
"Tu vas te les geler."
"Me geler quoi ?"
"Je sais pas, c’est tortue qui dit ça."Tortue c’est notre grand frère."Les mains je crois..."
"Je crois pas."
Elle est vraiment petite ma sœur.

A sept ans je m’exaltai.
"Où sont les marais ? Asséchés. Les bancs publics ? Emiettés. Les miroirs du métro ? Remplacés. Je ne suis pas mémoire, je ne suis pas jugement, je ne suis pas image. Je suis parole. Je parle cette ville comme je la parcours. Je veux marcher et parler. Vocation urbaine. Voirie, vie publique".

On me laissait dire. A sept ans on dit tant de choses. On veut être majorette et magicienne. Palabre citadine et pas de danse ...

"Ca lui passera, t’inquiète pas ."
"T’inquiète pas ! mais elle refuse d’écrire !"
"surtout ne la bouscule pas . Sa maîtresse dit qu’elle est très en avance pour son âge. Einstein non plus..."

Papa/maman dans le lit. Fanfan dans le lit. Tortue dans le lit. J'ai besoin de voir la nuit. Je sors.

J’ai sept ans.


Type de document : chants des griots

Auteur fictif : Loula-Ludivine

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

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Textes satellites : aucun

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zumthor

"L’épopée n’a rien d’un musée. Il n’y a pas d’histoire à proprement parler, mais une vérité perpétuellement recréée par le chant".

"L’épopée nie le tragique. Le héros fut-il écrasé, le peuple broyé par son malheur, le discours épique transcende la mort, individuelle et collective".

"L’art du poète consiste non seulement à tirer le fil du récit sans le rompre, mais à en adapter la matière et les nuances à la demande fuyante, instable, à tout moment distraite de l’auditoire, d’où les accumulations, les digressions, les glissements associatifs, les passages au gnomique, au lyrique, une technique, tantôt raffinée tantôt relâchée, de fugue".

(Zumthor, introduction à la poésie orale)

-> "L' Odyssée des 3S" est-elle une épopée ?


Type de document : notes et travaux

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

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Textes satellites : aucun

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