vos mots

Quand j'écris, je ne veux pas de narration, de fiction, de récit. Mon propos est ailleurs. Radicalement. Essentiellement. Mon propos est l'anodin, la restitution, la captation, l'instantané.
Polaroïd du ressenti, du vécu.

Ecrire jusqu'à l'ivresse, jusqu'à en oublier la faim, le sommeil ou la solitude.

Ecrire jusqu'à me perdre dans cette voix qui me dicte chaque mot, ne voir que la plume, la main droite qui impulse le sillon toujours inespéré, la main gauche qui repose comme un chat sur la page du cahier et dont l'ombre seule me rappelle encore que le temps existe, n'entendre que le crissement du papier Moleskine, et redouter qu'un instant - à peine - qu'un instant plus tard, la phrase s'arrête, c'est certain, je ne peux pas écrire sans cesse toute la vie, toute l'éternité même si je peux écrire jusqu'à ma mort.

Vivre au présent dans la lettre, le mot, le syntagme.

Je suis mécontente. Vos mots se font languir. Je n'ai pas eu de vos nouvelles depuis très longtemps. Faudra-t-il que j'aille en Toscane venir chercher moi-même votre lettre ?

Au Dottore Pi


Type de document : correspondances

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

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jamais demandé

"Nous ne nous sommes jamais demandé
"Si nous avions rendez-vous sur ce quai.
"Et nous ne nous sommes jamais promis
"Une nouvelle rencontre.
"Ni à sept ans ni à dix
"Ni à trente".

"Nous sommes devenus notre mutuelle errance
"sans aucune préméditation ni tentation.
"Il apparaissait que nous voulions créer l’espace
"sous les pas de nos trajectoires et de nos croisées".

"Classiquement et irrémédiablement, nous recommencions.
"Les harmoniques nocturnes nous attiraient dans les replis les plus simples
"de la ville.
"Passion des trottoirs et des corniches,
"des pierres et du bitume.
"Parfois nous marchions pendant des mois sans nous voir,
"parfois nous ne bougions plus, sans questionner ces états
"qui nous arrachaient à notre obsession citadine".
"Ensemble nous portions regards et paroles
"sans les inscrire,
"les scarifier
"ni les scléroser.
"Ensemble nous apprenions les bruits et les effluves
"pour nous les partager":

""Je te donne le crépitement de cette brève ondée d’été sur la gouttière.
"Je te donne l'odeur des pots de géraniums mouillés.
"Lesquels ?
"Ceux de la concierge."
"Alors je prends aussi le vent qui rafraîchit l’épaule.
"Vas-y, moi je n’ai pas chaud de toutes les façons.
"Oh, non ! Tiens ! En voilà un autre, comme ça on en a un chacun !
"Han ! Là tu triches ! C’est pas du vent ! C’est toi qui souffle ...""

"Nous nous séparions quand nous avions vidé notre réserve d'images.
"Nous nous séparions quand nous avions reconstruit notre courage
"d'être sans l'autre,
""d'être sans toi.""
"Nous nous retrouvions quand nous ne l'attendions plus.
""Me cherchais-tu ?
"Je ne sais pas"".

"Nous ne parlions que de nos parcours.
"Jamais de nos stations.
"Nous nous taisions aussi.
"Beaucoup.
""Me cherchais-tu ?
"Pourquoi ?""

"Nous nous sommes vus et entendus,
"Sur le quai de Conti
"La première fois
""Tu dormais par terre
"Tu étais là"".

( Loula et p’tit Gars se souviennent : )


Type de document : minutes des mémoires absolues

Auteur fictif : Les Greffiers

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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