Ce jour-là, je voulais juste me promener mais on ne pénètre pas dans la forêt australe comme on le ferait dans nos bois paysagés.
On s'arrête.
On pense aux reptiles, aux arachnides, aux insectes et à leurs morsures létales.
Comment ne pas s'arrêter ? Je voulais m'assurer d'être accueillie et préservée.
Et la forêt m'a parlé. Elle m'a répondue. Elle m'a apaisée. Elle m'a guidée.
Je me sentais si démunie : je n'avais pas emporté mon armure d'encre et de papier, cet intermédiaire qui filtre mon vécu. Je ne pouvais pas figer l'expérience, l'arrêter, la vider de sa puissance, pour l'épingler, comme un papillon, dans le cadre de mes écrits. Je devais entendre dans ma peau, dans mes os, l'invitation de la Terre.
J'avais vingt ans.
Certains passent leur vingt ans dans la trépidation des boîtes à rythmes, d'autres cueillent des champignons bleus ou construisent quelques fondations bien solides, moi je suis simplement entrée dans cette forêt.
Je n'ai pas tout su du voyage. Pas immédiatement. Mais j'ai entrevu un possible.
Je dois te le dire : tu viens de là. De cette conversation originelle. De cette orée-là.
à sa fille
Type de document : correspondances
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : CL
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Les voyageurs qui maîtrisent le temps du voyage procèdent - en général - de la manière suivante : ils perçoivent l'espace-temps comme une abstraction matérielle, certains le voient, d'autres le sentent ou l'entendent. Ils isolent deux unités de cette "matière", deux "instants", deux "ici/maintenant", et introduisent entre elles une boucle de temps chimérique.
Le temps de Kiméria est malléable. Il ne possède pas de loi propre qui le régisse, au contraire du temps d'Erel qui s'écoule naturellement de façon linéaire.
Mais cet exercice qui consiste à intercaler un temps cyclique dans un interstice de temps linéaire est périlleux. Il demande une capacité de dédoublement de la conscience et de l'attention. En permanence, le voyageur doit se souvenir de son existence terrestre. Le cas échéant, il se retrouve prisonnier de sa boucle temporelle chimérique.
Type de document : DJ's classes : l'art du voyage
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun