Loula
Ils n'avaient qu'une seule question. Tous. La même. Toujours. Les recruteurs, le peuple.
"Où est la gardienne ? Où est-elle ? "
Ma famille, ma mère, mon père, les psychologues.
"Où vas-tu Loula ? Pourquoi, pour qui ?"
Pierre parfois, "reste," me disait-il, "reviens avec moi".
Je les entendais dans mon exil, dans mes arrêts, dans mon absence.
Capitaine
Je sais Loula.
Loula
Je ne pouvais pas.
Capitaine
C'est comme ça.
Loula
Je n'étais d'aucun temps.
Capitaine
Voyageuse absolue.
Loula
Seulement l'ici.
Capitaine
Et tu les as entendus construire ton histoire
Loula
Avant même que de la vivre.
Capitaine
Et tu en connais la fin.
Loula
Il n'y a pas de fin, Capitaine. Il n'y a qu'un maintenant. Absolu. Où je suis dans tous les points de ma souffrance et de ma délivrance concomitamment.
Type de document : minutes des mémoires absolues
Auteur fictif : Les Greffiers
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Pardonnez-moi, je vous croyais mort, vous ne l’étiez pas ... Comment aurais-je pu imaginer qu’il restait encore un poète vivant?
Quand je vis l’affiche qui annonçait votre visite à Strasbourg dans cette petite salle de conférence de la Place du Corbeau, au coin de la ruelle sombre où avait vécu ma grand-mère, je crus à une résurrection – vous n’en deveniez que plus grand encore ! Tremblante, je m’étais assise au fond de la salle, heureuse, – auguriez-vous l’immortalité des chantres ?— je tentais de vous écouter mais, je l’avoue, je n’avais d’yeux que pour vos oreilles, si grandes oreilles dont les lobes immenses touchaient la terre.
Je comprenais enfin d’où venait votre verve tellurique : le rythme de vos vers, leur sobriété, n’était pas dionysiaque, je l’avais remarqué ! Vous n’étiez traversé ni par le duende, ni par la pena negra ni par le daïmon, non ... vous récitiez la terre parce vous l’entendiez avec votre ouïe fine ! Une ouïe de lutin, de chimère, de marin qui ne prend pas la mer ... vous n’étiez donc pas un humain ! Vous étiez un être mythique, un "guillevic", et si vous n’aviez pas de prénom, c’était parce que guillevic n’était pas un patronyme mais un genre. Et dire que personne ne s’en était rendu compte !
Guillevic : farfadet du Morbihan, aux grandes oreilles, porte parole de la nature et des éléments air, terre et eau (mais pas du feu)
Type de document : carnets personnels
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : 1
Textes satellites : aucun